Brahms a beaucoup écrit pour la voix : de grandes oeuvres chorales avec orchestre, dont le Requiem Allemand qui lui a assuré définitivement la célébrité, et de nombreux lieder dans la lignée de Schubert, Schumann, et bientôt Wolf.
Voici le plus beau requiem. Il est atypique, certes, car il s'agit d'un requiem luthérien, pour lequel Brahms, très affecté au moment de la composition par le décès de sa mère, a choisi lui-même parmi les textes bibliques ceux qui reflétaient le mieux son état d'esprit sur la mort, sans hésiter à procéder à des panachages audacieux. On ne trouvera pas ici de fracas d'Apocalypse ou de passages larmoyants : mais au contraire une compassion, une douceur, une acceptation, qui exhale une foi authentique et profondément émouvante.
Le premier mouvement, entièrement choral ("Heureux ceux qui pleurent...") est emblématique de ce point de vue ; il est aussi très significatif que sa musique soit reprise dans le septième et dernier mouvement ("Heureux les morts...) qui clôt ce travail de deuil.Une musique d'une beauté irréélle, étherée, dont la conclusion transporte littéralement vers le ciel.
Le deuxième ("Car toute la chair est comme l'herbe...") et le troisième ("Fais-moi connaître, Seigneur, ma destinée) qui fait intervenir le baryton, sont certes beaucoup plus sombres : mais Brahms les fait s'achever par des fugues triomphantes, reflétant la foi dans la délivrance des Justes par le Seigneur.Cette confiance se révèle encore davantage dans le sixième mouvement, dans lequel le baryton et le choeur proclament la victoire contre la mort ("Mort, où est ton aiguillon..."). Cette victoire avait été préfigurée par le quatrième mouvement ("Que vos demeures sont aimables, Seigneur des armées..."), un morceau choral d'une grande finesse rappelant le troisième mouvement des symphonies.
Pourtant, l'apogée de cette oeuvre est atteinte dans le cinquième mouvement, le seul faisant intervenir la voix de soprano : "Vous êtes maintenant dans l'affliction, mais je vous reverrai..." "Comme un enfant que console sa mère, vous serez consolés...". Le lien avec le deuil de Brahms est évident, bouleversant. Nulle douleur pourtant dans cette musique sublime, véritable vision de paradis. Cette femme nous prend doucement par la main et nous emmène...
La version signée Carlo Maria Giulini, avec le Wiener Philarmoniker, Andreas Schmidt et Barbara Bonney est le premier choix.
Avec Schubert, Schumann et Wolf, Brahms fait partie des grands compositeurs de lieder. Il se distingue par l'importance considérable de la partie de piano, parfois très proche des Intermezzi, et que la voix semble seulement accompagner. Le résultat est une palette expressive d'une confondante richesse de coloris, excédant le cadre habituel du lied.
Les textes sont de poètes très divers, avec un apport non négligeable de la chanson populaire. Le thème le plus fréquent est l'amour, comme dans l'unique cycle des Romances op.33, "La Belle Maguelonne". L'inclination de Brahms pour la méditation et la nostalgie ont fourni des lieder parmi les plus beaux : "La nuit de mai" (op. 43 n°2), "Le chant de l'alouette" (op.70 n°2), ou la merveilleuse "Chanson de la pluie" (op.59 n°3) dont le thème sera repris par la Sonate pour piano et violon op.78, et dont le texte traduit si bien l'esprit de toute la musique de Brahms :
Tombe, pluie, tombe à verse,On n'oubliera pas la très célèbre berceuse (op.49 n°4). Les poèmes épiques ont également une place de choix, et permettent de retrouver le climat des Ballades. Avec le temps, les méditations sur la mort se font plus nombreuses, et donnent lieu à des lieder d'une grande intensité : notamment "La mort, c'est le fraîche nuit" (op. 96 n°1, le beau texte de Heine appelant naturellement une musique très prochedu 2ème acte de Tristan und Isolde), ou "Au cimetière" (op.105 n°4), très proche déjà des Chants sérieux.
Dietrich Fischer-Dieskau a signé deux larges anthologies (pour EMI avec différents pianistes dont Richter pour La Belle Maguelonne, puis pour DG avec Daniel Barenboim).
Avec ces chants, achevés le jour de ses 63 ans, Brahms met (presque) un terme conscient à son oeuvre. L'adjectif sérieux renvoie au choix des textes, tirés de la Bible. En raison du caractère religieux qui en découle, le terme de lieder s'appliquerait mal : on est spirituellement et vocalement très proche du Requiem Allemand, avec une partie de piano qui atteint une densité dans le prolongement des derniers cycles pour piano. Remarquable est le souci d'organisation, digne d'un sermon, allant de la vanité des hommes à l'apologie de la charité.
Le premier chant est volontiers le plus sévère. "Car la destinée des hommes et celle des animaux est la même : la mort de l'un, c'est la mort de l'autre". Le piano, très proche de l'orgue, soutient la déclamation dramatique de la voix, jusqu'à une conclusion plus sereine.
Si les Chants sérieux étaient une symphonie, le deuxième chant serait le mouvement lent, d'une grande tristesse pour les injustices, mais surtout d'une sincère compassion.
Le troisième chant est le paroxysme de l'oeuvre, et son point tournant. Entre la phrase initiale "O mort que ton souvenir est amer", solennelle est terrible, et la phrase finale "O mort que tu es douce", se situe tout le travail d'acceptation , et même de souhait, de la mort qui était déjà le fil conducteur du Requiem Allemand.
Cette transition permet une conclusion pleine d'heureuse espérance, et même de joie. Le célèbre texte tiré des épîtres aux Corinthiens établissant la charité comme plus importante que la foi et l'espérance est admirablement servi par une piano résolument symphonique et un chant prophétique.
Ce monument du chant, à placer à côté du Voyage d'Hiver, a connu des interprétations mémorables. Dietrich Fischer-Dieskau y a fait pleurer Furtwängler : on l'écoutera avec Baremboim dans l'anthologie précitée.Hans Hotter pourrait passer lui-même pour un prophète. L'immense Kathleen Ferrier est aussi indispensable.