L'oeuvre de Bruckner, si on excepte quelques ouvrages mineurs, de jeunesse (notamment deux symphonies numérotées 0 et 00), ou atypiques (un poème symphonique) comporte neuf symphonies, trois messes, un Te Deum et quelques pièces vocales à caractère sacré. A vrai dire, c'est la musique de Bruckner dans son ensemble qui relève du sacré : le compositeur n'était-il pas surnommé "le ménestrel de Dieu" ? Ses symphonies sont bâties comme des cathédrales gothiques : monumentales, démesurées, avec une architecture apparente. De même que le visiteur met du temps à traverser une nef de cathédrale, et pourra éprouver, en voyant défiler sous ses yeux vitraux et statues magnifiques mais reprenant toujours des thèmes similaires, un léger sentiment de monotonie si la foi n'habite pas son coeur, de même l'auditeur pourra trouver que les symphonies de Bruckner sont longues, lentes et ennuyeuses. Il faut s'y habituer, sentir le souffle gigantesque qui soulève ces vastes blocs monolithiques qui se répondent de loin en loin, à travers les mouvements, et voir la cohérence de l'ensemble là où une écoute pointilliste n'entendrait qu'un accablement stérile. Alors seulement l'écoute de Bruckner peut devenir une expérience spirituelle.
Bruckner a eu beaucoup de chance au disque : de nombreux chefs ont en effet livré, du moins pour les symphonies 4 à 9 et le Te Deum, des versions extrêmement abouties. On ira en premier lieu vers Eugen Jochum, qui en deux coffrets (DG) a gravé l'intégrale de symphonies, des messes, du Te Deum et des pièces sacrées. Sergiu Celibidache vénérait Bruckner : il l'aborde (coffret EMI) dans un style inimitable, d'une lenteur aussi sublime qu'irritante, avec une beauté absolue des timbres (la flûte dans la quatrième !), et nous livre la plus belle 3ème messe, les plus belles 4ème et 6ème symphonies. Gunther Wand, un autre immense serviteur du maître de Saint-Florian, Carlo-Maria Giulini (pour les trois dernières symphonies) et Wilhelm Furtwängler (attention dans la 4ème à l'utilisation d'une partition retouchée) sont également essentiels. J'ai également un souvenir merveilleux d'une Huitième en concert par Bernard Haintink avec la Philarmonie de Vienne.