Autres compositeurs, autres œuvres

 

Modest Moussorgski (1839-1881)

Le plus grand compositeur russe du XIXème siècle a eu  malheureusement une vie assez brève. Sa production compte plusieurs œuvres majeures, en premier lieu son seul opéra achevé, Boris Godounov.

Boris Godounov

Voici le plus grand opéra russe, une musique unique en son genre, d'une beauté fascinante, l'une des principales raisons d'aimer l'opéra.

Boris Godounov

L'action se déroule sur sept années, de 1598 à 1605 : années de crises politiques, économiques et sociales, entre la mort du premier tsar, Ivan le Terrible (1584), dont l'ombre effrayante plane sur l'œuvre, et l'avènement de la dynastie des Romanov (1613). Le fils d'Ivan, Féodor, est mort sans postérité, la succession devant revenir à son demi-frère Dimitri, encore un enfant. Mais celui-ci meurt à son tour, le beau-frère de Fédor, Boris Godounov, est suspecté.

L'opéra existe en deux version, datées respectivement de 1869 et 1872. On procède habituellement à un panachage des deux : or l'écoute séparée des deux version (comme dans l'excellente interprétation de Valery Gergiev) fait apparaître des différences fondamentales de conception. Dans la version de 1869, l'action se concentre sur Boris à la façon d'une étude psychologique : on est ici bien proche de Wozzek ! Cédant à la pression de la foule, il accepte de devenir tsar, au cours de la scène du couronnement à la musique si universellement connue. Il est cependant rongé par la culpabilité de la mort de Dimitri (dont le thème irrigue toute la partition, telle une obsession sous-jacente). Parallèlement, un moine défroqué, aussi ambitieux que pitoyable, se fait passer pour l'enfant assassiné : cela ne fait que renforcer le poids qui pèse sur la conscience de Boris, encore augmenté par les deuils et les famines : l'esprit du tsar sombre peu à peu dans la folie. Devant l'assemblée des boyards, le récit du moine Pimène, évoquant un miracle sur la tombe de Dimitri, lui est fatal : sa mort, d'une grande noblesse, parachève ce portrait saisissant de grandeur et de souffrance mêlées. 

La deuxième version, notablement plus longue, est surtout d'un esprit différent, davantage proche de l'opéra historique : l'opéra n'est plus centré sur Boris, dont la culpabilité est d'ailleurs beaucoup moins nette, mais sur la Russie et ses malheurs. Chose curieuse, cet assassin d'enfant présumé est le seul ici à qui on puisse s'attacher.

Le portrait du faux Dimitri est en revanche plus développé, montrant une saisissante symétrie avec Boris : un personnage d'abord falot se met à croire à ses mensonges et atteint l'amour (du moins le pense-t-il) et le trône, tandis que le tsar criminel se délite de scène en scène. Un acte supplémentaire se déroule en Pologne, nous montrant celui-ci aux prises avec la belle et vénéneuse Marina, femme incapable d'aimer sincèrement et avide de gloire, et son inquiétant jésuite, Rangoni. La conclusion ne revient à la mort de Boris, ni même à l'arrivée triomphale à Moscou du faut Dimitri avec son cortège de profiteurs et d'épurateurs, ivres de sang, hurlant contre Boris qu'ils avaient acclamé tsar quelques années plus tôt ; elle revient au fou, seul personnage lucide, déplorant les malheurs présents et à venir, peut-être la plus glaçante fin d'opéra : fin musicalement suspendue, incertaine : le temps de troubles de fait que commencer, mais la suite en est indicible.

Dans l'une et l'autre version, l'auditeur est saisi dès la première mesure par la force évocatrice de cette musique : c'est un monde vivant qui se déploie, d'une violence primitive soulignée par une harmonie et une instrumentation insolites, un monde sanglant et fanatique, sombre et tourmenté, des thèmes qui prennent à la gorge et ne lâchent plus. La prédominance des voix graves (Boris, Pimène), la splendeur et la rutilance des chœurs (surtout dans la version de 1872) achèvent de faire de cet opéra un monument.

Giacomo Puccini (1858-1924)

La Bohème

Mahler qualifiait cet opéra de poésie à l'état pur. On ne saurait mieux dire. J'imagine Rodolphe comme un artiste d'âge mûr, "arrivé", qui se souvient de sa jeunesse avec une tendre nostalgie. Il avait faim, il avait froid, mais il avait l'enthousiasme créateur et la chaleur de l'amitié. Et un soir, Mimi est venue. Elle n'a fait que passer dans sa vie, il n'a pas été toujours très chic avec elle, mais il ne pourra l'oublier, car cet amour a eu la pureté et l'innocence d'un printemps intérieur, malgré l'hiver du dehors, qui ne reviendra jamais plus. La musique est d'un lyrisme d'une beauté incroyable, au service d'un livret simple et bouleversant. Comment ne pas pleurer à la mort de Mimi ? Comment ne pas partager le chagrin de Rodolphe, qui voit le symbole de sa propre jeunesse s'enfuir à jamais ?

Hugo Wolf (1860-1903)

Avec Schubert, Schumann et Brahms, Hugo Wolf est l'un des plus grands maîtres du lied allemand. A l'exception d'un opéra et d'un poème symphonique, il a consacré toute sa courte vie créatrice à ce genre, auquel il a apporté un raffinement sans pareil. Sur des poèmes magnifiques de poètes déjà consacrés, il déploie une musique d'une richesse de détail et d'une beauté inouïe. Un chant sublime, dont les courbes se souviennent sans l'imiter de l'exemple wagnérien, se coule dans une partie de piano toujours dense, voire virtuose. Cette musique est très exigeante pour ses interprète, de par l'impitoyable précision avec laquelle elle récrée l'univers du poème ; elle est aussi pour l'auditeur.

L'année 1888 a vu naître la plus grande partie de l'œuvre de Wolf. Le recueil de lieder sur des poèmes de Mörike est l'un des sommets du genre, couvrant toute la gamme des atmosphères traitées dans les lieder allemands : l'amour, la solitude, la piété, mais aussi le fantastique et l'humour. Lequel préférer ? Le terrifiant Cavalier de Feu, pendant du Roi des Aulnes de Schubert ? Le rêve aérien, intemporel, du Chant de Weyla ?Les couleurs archaïsantes de Sur un Vieux Tableau ? L'envoûtant nocturne, au souffle tristanien, d'A Minuit ? La beauté poignante et enivrante de Sur une Harpe Eolienne ? Peut-être bien aussi Le Printemps, sur un thème pourtant si souvent traité, pour son irrépressible nostalgie qui vous saisit et ne vous quitte plus...

Avec Goethe, Wolf a mis en musique des poèmes déjà employés par ses prédécesseurs. Il s'y montre souvent incomparable, comme dans l'élan irrésistible vers le ciel qu'est Ganymède, ou la révolte de Prométhée. Les poèmes tirés de Wilhelm Meister l'ont profondément inspiré. Comment oublier le profond désir de Mignon d'un merveilleux pays lointain qu'à su traduire Wolf dans "Connais-tu le pays" ? Ce compositeur mort fou a aussi ressenti intimement, comme Schubert et Schumann avant lui, mais avec davantage de violence, la tragédie d'Augustin. Jamais auparavant les trois Chants du Harpiste n'ont sonné avec un tel désespoir.

Témoins d'un attrait du compositeur pour le monde méditerranéen, les livres de lieder espagnols et italiens sont de riches trésors. C'est avec l'Italie de Michel-Ange que Wolf, en 1897, a achevé son œuvre. Sur des poèmes de l'immortel sculpteur, il a écrit trois chants d'une concentration confondante et d'une noirceur difficile à soutenir, qui constitue un superbe adieu à ce siècle qui a été l'âge d'or du lied, en même temps que le pendant profane de cet autre testament, à peine antérieur, que sont les Chants Sérieux de Brahms.

Dietrich Fischer-Dieskau règne en maître dans ce répertoire, où il peut donner toute la mesure de ses immenses qualités de diction et de phrasé. Son coffret, avec Daniel Baremboim comme pianiste, comporte l'essentiel des lieder pour voix d'homme, il est bien sûr indispensable. Fischer-Dieskau s'est aussi associé avec Elizabeth Schwarzkopf et Gerald Moore (quel plateau...) pour les chants espagnols et italiens. De la grande soprano, on cherchera aussi le récital de Salzbourg de 1953, peut-être surtout pour son accompagnateur : Wilhlem Furtwängler livre là le seul témoignage de son art pianistique. Et, bien sûr, il y a Hans Hotter, d'une terrible majesté dans les Chants du Harpiste ou dans les lieder d'après Michel-Ange.

Anton Webern (1883-1945)

Membre éminent et secret de la Seconde Ecole de Vienne, constituée autour de Schönberg, Anton Webern n'a écrit que peu de musique (tant en nombre d'oeuvres qu'en durée de celles-ci), s'attachant à la qualité plutôt qu'à la quantité. A la tonalité élargie de ses oeuvres de jeunesse, proche de Brahms et de Mahler, succède dans une évolution qui semble d'une évidence limpide, l'atonalité et le sérialisme. L'économie des moyens s'allie à un raffinement inouï des timbres et des attaques pour créer une musique au parfum sans équivalent, convenant admirablement à la musique de chambre et aux petites formations (les pièces pour orchestres op. 10 sont saisissantes par leurs coloris fugaces).

Non loin de ce corpus dont l'intérêt ne faiblit jamais, on trouve les variations pour piano op. 27, seule oeuvre numérotée pour cet instrument. Relativement développées d'après les standards du compositeur (six minutes !), elles comportent trois mouvements qui présentent chacun des variations sur une cellule initiale. Les jeux de miroir sont privilégiés, ainsi que l'individualisation extrême des notes et de leurs attaques. Le premier mouvement baigne dans une atmosphère irréelle, comme dans une brume flottante (on pense à Debussy), d'une infinie poésie, à peine troublée par une partie centrale plus agitée. Dans le deuxième mouvement, le plus bref, les sons sifflent avec rapidité dans l'air, sautant d'un octave à l'autre du clavier avec une grâce de félin. Le troisième mouvement est le plus étendu. D'emblée il retrouve le climat raréfié du début de l'oeuvre, qu'il conduit peu à peu à un maximum d'intensité. Enfin, apaisé, il s'achève par une énigme aux portes de l'extase.

Pour qui voudrait découvrir cet univers si particulier, Pierre Boulez s'impose par sa ferveur et ses immenses qualités de pédagogue. Il a réalisé pour DG, avec la complicité d'artistes tels que Krystian Zimerman, Gidon Kremer ou le quatuor Emerson, une intégrale indispensable (en six disques) de l'oeuvre de Webern.


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