Ce
quatuor, un des plus grands jamais écrits (mais au langage si
profondément différent de ceux de Beethoven) fait partie, avec la
symphonie Inachevée, les deux sonates en la mineur et la sonate en ut
mineur, des oeuvres instrumentales les plus noires de Schubert. Le
titre de "Jeune Fille et la Mort" est justifié, non seulement par
l'utilisation du thème du lied éponyme dans le deuxième mouvement, mais
par le climat particulièrement morbide de l'ensemble de l'oeuvre,
renforcé par les sonorités volontiers décharnées des cordes.
Le
premier mouvement, sauvage, est plongé dans les terreurs nocturnes.
L'incipit, inoubliable, saisit l'auditeur à la gorge et ne le lâchera
plus. La progression musicale qu'il initie tourne court très vite : il
n'y aura ni résolution ni même évolution, mais resassement perpétuel de
cette tempête de l'âme. La coda, remarquable par l'utilisation des
contrastes forte-piano pour renforcer la tension, semble s'éteindre
dans la nuit.
Le deuxième mouvement conserve exceptionnellement
le mode mineur, privant de ce fait le majeur de toute apparition
durable dans l'oeuvre. Le thème est une adaptation du choral de la Mort
dans le lied "La jeune fille et la Mort" D.531 Par rapport à la version
piano et chant, le son dénudé des cordes accroît le sentiment funèbre
qui s'en dégage. Les variations qui suivent ne transforment pas le
thème, qui reste toujours parfaitement audible et renforce ainsi son
pouvoir de fascination hypnotique, tel un regard de serpent. Les
premières variations, tourmentées, peuvent être vues comme un refus.
L'arrivée du majeur, loin d'apporter le réconfort, apporte un sucroît
de désolation. Le retour du mineur conduit à un sommet d'intensité
rendu en core plus poignant par le decrescendo qui le suit. La musique,
de plus en plus douce et ténue, semble venir de lointains confins. La
résignation se mue en désir de mort dans les dernières mesures, d'une
paix irréelle.
Le scherzo renoue avec les tourments du premier
mouvement. Son thème rappelle de façon étonnante le leitmotiv des
Niebelungen dans l'Anneau du Niebelung de Wagner. Le trio serait
insignifiant s'il n'était le seul moment détendu de l'oeuvre.
Les
cordes, plus acides que jamais, lancent la chevauchée du finale. Ce
mouvement présente une ressemblance frappante, tant par son esprit que
par son plan, avec le finale de la sonate en ut mineur. Une danse
macabre donc, échevelée, implacable et grinçante, et sombre
couronnement de cette oeuvre intransigeante.